5 sept. 2010

Le fossé des générations

« Je ne peux pas savoir, je n’étais pas né. » Cette phrase est une façon assez maladroite d’avouer son ignorance à une question de Trivial Pursuit. Ce n’est pas parce qu’on est né après 1821 qu’on ne doit pas connaître Napoléon 1er. Et heureusement qu’il n’est pas utile d’avoir poussé son premier cri au XVIIIe siècle pour savoir que Mozart a composé quelques chefs-d’œuvre.

Bien sûr, on ne peut pas en vouloir aux enfants de l’an 2000 de ne pas savoir qui était Joe Dassin ou que Charles de Gaulle n’est pas qu’un aéroport. De la même manière, on ne peut pas en vouloir à un septuagénaire d’être passé à côté du dernier Toy Story. C’est une question de génération, c’est tout.

Chaque année depuis 1998, deux Américains dressent une liste d’éléments d’histoire et de culture générale que les étudiants de l’année en cours pourraient ignorer à cause de leur jeune âge. Pour établir cette liste, Tom McBride, professeur de lettres, et Ron Nief, ancien porte-parole de l’université Beloit dans le Wisconsin, ont rassemblé des contributions d’étudiants, dépouillé des articles de journaux, scruté les publications et les médias populaires pendant l’année de rentrée de chaque nouvelle génération d’étudiants.

Le cru 2010 est fameux ! La plupart des jeunes Américains entrant à l’université cette année pensent que Beethoven est un chien, considèrent les courriels comme trop lents et n’ont jamais connu John McEnroe que dans des publicités télévisées. Pour ces étudiants qui auront leur licence en 2014, la Tchécoslovaquie n’a jamais existé ; quand on leur parle de Fergie, ils pensent à la star du groupe de hip-hop Black Eyed Peas plutôt qu’à la duchesse d’York Sarah Ferguson ; et Clint Eastwood est d’abord un réalisateur et non l’incarnation de « Dirty Harry ». Il faut aussi leur dire que montrer son poignet du doigt d’un air interrogateur signifie qu’on cherche à savoir l’heure.

Le processus est simple. Il suffit de discuter de tout et de rien avec les étudiants (américains, bien sûr…) d’aujourd’hui. « Lorsqu’ils vous regardent avec des yeux effarés, cela veut dire qu’ils ne savent pas du tout de quoi on parle », explique Ron Nief. L’objectif de ces listes, en plus de faire sourire et de flanquer un coup de vieux à ceux qui en saisissent les subtilités, est de souligner les rapides changements de perception liés aux générations.

Lors des précédents portraits, les auteurs avaient souligné, par exemple, que la classe née en 1980 n’avait connu de toute sa vie qu’un seul pape, Jean-Paul II, souverain pontife de 1978 à 2008. La classe 2006, née en 1984, n’a pas connu l’apartheid en Afrique du Sud. Au sein de celle de 2009, peu d’étudiants savaient faire un nœud de cravate et la plupart ignoraient que l’Iran et l’Irak avaient été en guerre l’un contre l’autre. Pour ceux qui ont été diplômés cette année, l’Allemagne n’a jamais été divisée et il a toujours été interdit de fumer dans les avions…

Cette incompréhension est communément appelée « fossé des générations ». Entre ceux qui pensent que France 2 s’appelle toujours Antenne 2 et ceux qui considèrent que Yannick Noah n’a jamais été rien d’autre qu’un chanteur qui ne remplit pas les stades, ce « fossé des générations » n’est pas prêt de se tarir !

(Photo chopée sur toutlecine.com)

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