Les deux jours passés m'ont procuré une atroce douleur. Pas une douleur physique, un bleu purulent, un têton qui saigne abondamment ou un ongle de petit orteil retourné. À mon grand dam ce fut bien pire. La douleur ressentie s'est répandue dans mon être comme l'étincelle d'une allumette sur une flaque d'essence aux reflets violets. Cette douleur était une douleur psychique: la peur.
La raison de cette peur rongeant mon calme comme un castor rongeant du bois est née de la neige tombée en quantité dans la nuit de dimanche à lundi sur les trottoirs et routes de Lyon. Cette neige presque abondante est vite devenue un dure couche écrasée par les lourds sabots de chacun. Une couche glissante. Mes yeux délicats apercevant cette horreur, la peur est arrivée, comme Zorro. Ce n'est pas un quelconque terrain glissant qui va effrayer un garçon ayant passé sept délicieuses années de sa vie à patiner pendant ouatemille heures par semaine dans ses jeunes années, penserez-vous. Eh bien détrompez-vous. Une hantise habitant mon corps habita mon corps.
À vrai dire, ce n'est pas réellement le risque de tomber, de glisser, voire de me faire mal, qui m'apeurait. C'était plutôt le caractère ridicule de l'éventuelle situation. Imaginer un instant sentir la semelle de ma chaussure droite déraper, la voir projetée en avant, entraînant par la force physique le reste de mon corps en arrière et laissant mon coccyx heurter violemment le goudron gelé, me rongeait la bonne humeur. J'ai donc particulièrement exacerbé ma lenteur de marche, qui, d'ordinaire, est inexistante, durant les deux jours qui suivirent la tombée de la neige, comme le chantaient si bien Salvator et Adamo.
Malheureusement, mon attention, ma concentration, ma garde et ma méfiance m'ont quelque peu lâché ce jour dernier, constatant la disparition de l'état glissant des trottoirs lyonnais. Ma démarche s'en trouva beaucoup plus guillerette, mes petits pas sautillant machinalement à travers la ville. Mon esprit libéré du poids de la peur, je décidai inconsciemment de monter les marches de l'escalator, alors même que celui-ci était en marche, chose que je ne fais absolument jamais. D'habitude, je ne boude pas mon plaisir de faire une pause dans ma balade à pied, en laissant l'escalator faire son travail tout seul. Oui mais voilà, en ce jour de janvier, j'ai décidé de monter l'escalator.
Cette initiative fut une erreur de jugement. Ma chaussure droite a dérapé, faute de glace, sur le rebord d'une marche de l'escalator, remarquant au passage que les marches de l'escalator ne respectent probablement pas le nombre d'or, tant elles sont hautes et inesthétiques. Mon tronc s'est déséquilibré, j'ai basculé en avant et ai dû me retenir avec les mains pour éviter le vautrage pur et simple. Par instinct de survie et réflexe orgueilleux, je me suis retourné pour voir si des passants avaient pu assister à ce malencontreux accident. Il semble que non puisque l'heure de pointe était déjà passée. Un sentiment de honte absolue s'est alors emparé de moi, un peu comme quand vous sortez des waters publics et que vous cédez la place à quelqu'un derrière votre porte, lui laissant croire que c'est vous qui avez tapissé les chiottes de merde lors de votre passage.
Je suis bien fier de ne pas avoir glissé sur le sol gelé, tiens.
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