En ce milieu d’automne qui pourrait s’apparenter à une mini disette musicale, le dernier album de Vincent Delerm doit s’apprécier comme un compliment parmi les reproches, comme une pépite de chocolat dans un cookie, comme une place assise dans le tram en heure de pointe, comme un grumeau dans une crêpe. Quinze chansons est sorti aujourd’hui. Saluons ce titre assez génial, et cette pochette de disque, qui met en valeur la virilité de Vincent.
Quinze chansons commence avec une ballade assez appréciable. Tous les acteurs s’appellent Terence, première preuve que les titres de Quinze chansons sont globalement très longs, preuve également que finalement, quand c’est long, ce n’est pas forcément si bon que ça. Une inspiration assez britannique dans le style, qui peut éventuellement échapper au fan du Delerm-premier-opus-, mais qu’importe, la voix de Vincent est là, avec une nouvelle chanson, et rien que pour ça, la première chanson est bonne.
Puis vient Allan et Louise. Et là, on peut se demander avec une crainte légitime Mais où donc a bien pu passer le Vincent Delerm du premier album, celui qui faisait rire avec Tes parents, celui qui faisait planer avec La vipère du Gabon, celui qui rendait mélancolique avec Cosmopolitan ? La question n’obtient bien sûr pas de réponse. Vincent semble avoir évolué depuis, et semble insister dans la voie ouverte par Les piqûres d’araignée, à savoir une voix plus juste, une mélodie plus travaillée. Moins de défauts, et inévitablement, un peu moins de caractère.
Je pense à toi ressemble énormément musicalement à Il fait si beau. Cette chanson est la confirmation que Vincent Delerm heureux est moins intéressant que Vincent Delerm nostalgique et cruel. Une chanson gaie et sautillante qui ne plaît pas particulièrement. C’est un peu comme quand Hélène Segara chante L’amour est un soleil ; c’est fade et on préfère quand elle fatalise la vie dans Elle tu l’aimes. Ici, c’est pareil. C’est bien de savoir que Vincent est amoureux, mais quand on ne l’est pas (où qu’on n’ose pas s’avouer qu’on l’est), la chanson devient plutôt banale, et c’est dommage.
Martin Parr débarque comme un ovni. Ou devrais-je dire comme un ufo, dans le sens où Martin se prononce Marteen comme Martine à la plage (ou Martine à la montagne, ou autre). Une chanson d’une minute zéro sept, avec une voix féminine dans les cœurs, un peu fox-trot, un peu rêveuse. Même si la chanson est pas mal, on se sent frustré de n’en avoir eu droit que pendant une minute zéro sept. Le temps de se remettre la chanson, on se précipite sur le petit livret pour regarder la durée des chansons. Et là, on comprend pourquoi il a réussi à mettre quinze chansons dans son album : parce qu’il y en a sept de moins de deux minutes, dont quatre de moins d’une minute trente, dont deux de moins d’une minute. Et là, on se dit, quel blagueur, ce Vincent, seize euros quatre-vingt dix neuf pour trente-deux minutes et douze secondes de musique… Quel garçon généreux, ce Vincent !
Débarque enfin la cinquième chanson de Quinze chansons, Le cœur des volleyeuses bat plus fort pour les volleyeuses. Le bonheur tant attendu depuis des années se fait sentir. Bien sûr Marine était plutôt bien dans Les piqûres d’araignée. Bien sûr, le duo avec Valérie Lemercier sur Favourite songs était plutôt bien. Mais où diable était passé ce talent de Kensington Square – aussi bon que le premier album éponyme, mais dans un autre genre – que j’espérais secrètement à chaque achat delermien ? Dans Le cœur des volleyeuses bat plus fort pour les volleyeuses, probablement. Une chanson complètement bête, de traduction approximative, et terriblement bonne. Là où le talent de Vincent explose, c’est lorsqu’il fait de cette chanson une pastille d’une minute quarante, pile le temps nécessaire pour ne pas avoir envie de se lever pour aller grignoter un truc immonde dans un frigo fraîchement rempli. La chanson est partagée avec Laura Astruc et Albin de la Simone.
Au début d’Et François de Roubaix dans le dos, on ne comprend pas pourquoi Vincent Delerm a décidé de faire un duo avec Evanescence. Puis on réalise que c’est un leurre. Cette chanson colle, pour le coup, totalement avec la période Kensington Square, et précisément avec la chanson Kensington Square. Une espèce de détresse dans la voix, une musique stressante. La solitude, toujours aussi bien décrite. Je n’ai pas boudé mon plaisir, malgré ma moue boudeuse, je l’ai écoutée deux fois.
Cinquante-six secondes pour Dans tes bras. Peut-être voulait-il nous rejouer la carte Catégorie Bukowski. C’est raté. C’est écoutable, mais sans plus.
78 543 habitants est typiquement un titre delermien. Le texte est totalement décousu, très delermien aussi. La musique est, en revanche, assez innovante pour lui. Il faut bien l’avouer, on retombe dans un ton un peu moins fun. La force de Delerm, c’est de composer des musiques enjouées ou mélancolique, mais pas de l’entre-deux. Et c’est là que le texte de Delerm prend toute son ampleur. Là, c’est comme si on mangeait une tartine avec de la confiture. C’est bon, mais avec du beurre, elle aurait été meilleure. Epargnez-moi une humiliation, j’assume ma comparaison pourrie.
Shea Stadium commence sur une musique hymnale (non, ne cherchez pas dans le dictionnaire, ce serait du temps perdu), et des hurlements de stade. Une chanson modeste.
Le premier extrait de Quinze chansons se situe à la place numéro dix. Un temps pour tout ressemble, aux premiers abords, à Sous les avalanches, ce qui peut, encore une fois, décevoir. Or à force de l’écouter, l’air entre en tête, inlassablement, et pollue le cerveau. Si on n’aime pas avoir le cerveau pollué par du Vincent Delerm, il faut éviter d’écouter cette chanson. Cette étape passée, on écoute les paroles, et on réalise qu’enfin, une chanson sur les quinze – au moins – a un sens. Ouf !
L’un des côtés de Vincent que j’aime beaucoup, c’est sa mélancolie, calquée à des mélodies molles et légères à la fois, à la manière de Deauville sans Trintignant, de Gare de Milan, ou d’Ambroise Paré. North Avenue est dans cette veine. C’est beau, et ça s’écoute après avoir reçu une mauvaise note, après s’être fait larguer, après avoir raté son permis de conduire, après s’être fait traiter de Clovis Cornillac. Bref, dans les moments difficiles où l’on doit reconnaître l’échec et se remettre en question, tout simplement.
On sent bien que Vincent se fout royalement de notre gueule sur From a room. Mais comme c’est Vincent qui se fout royalement de notre gueule, on ne peut que lui pardonner et aimer ça.
Sur Un tacle de Patrick Vieira n’est pas une truite en chocolat – wouah quel titre génial que je kiffe sa race ! – on ressent à nouveau bien la patte delermienne (période Les piqûres d’araignée) et ce côté vieillot divinement bon. Des paroles absurdes délicieuses, une musique enjouée. Très très plaisant.
Monterey arrive après une bonne chanson, donc forcément, c’est moins évident d’aimer.
Quinzième chanson de Quinze chansons : La vie est la même. C’est mou, mais c’est un peu le même esprit que North Avenue. Une bonne chanson de fin d’album comme Vincent a l’habitude d’en faire.
Au final, Quinze chansons pourrait frustrer bon nombre d’acheteurs pour sa durée assez courte. Même si le fan delermien dira que Quinze chansons est en deçà du premier album éponyme, et n’égale qu’à peine Kensignton Square, il pourra se consoler en se disant que c’est un meilleur album que Les piqûres d’araignée. Avec des titres excellents et deux ou trois pépites.
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