29 août 2010

Kékéland

Ne t’attends pas à lire ici une critique d’un album de Brigitte Fontaine. Je m’en vais te narrer mes aventures à la foire de la Saint-Loup, dans une petite bourgade bougnate, non loin de C. Souviens-toi, je t’avais déjà narré – il y a déjà près de quatre ans, que le temps passe vite – mon excursion dans un bal de campagne, ici.

Voilà bien dix ans que je n’avais pas vécu une expérience aussi profonde, en immersion au plus près d’un monde aussi indescriptible que le terme kéké. La foire de la Saint-Loup (admirez déjà son intitulé, comme ça donne envie d’y aller…) est ce type de fête de ville où se réunissent vendeurs, forains, maraîchers, artistes, majorettes et femmes à barbe. J’étais un peu las de mes dimanches à rien faire, j’ai donc pris mes jambes à mon cou et me suis rendu à A., pour vivre ce moment inoubliable.

Il y a d’abord eu ce concours de twirling bâton. Devant la foule en délire composée de trois pèlerins et cinq ados avec – summum de la délinquance dans cette bourgade bougnate – une bière à la main, le Jean-Pierre Descombes local en a fait des caisses pour présenter Camille. Camille est une majorette senior de treize ans plutôt bouboule, mais qui se la jouait sensuelle. Évidemment, papa, maman, pépé et mémé semblaient fiers de Camille, mais moi je ressentais un peu de honte pour elle. Elle manquait de rattraper le bâton quatre fois sur cinq, et son fuseau beige en lycra à l’élastique fatigué laissait entrevoir une raie goulue dont je me serais bien passé. Et le Jean-Pierre Descombes local a lancé un blessant « Et on applaudit tous très fort Camille » au moment où il savait pertinemment que seuls papa, maman, pépé et mémé allaient applaudir la demoiselle qui, pourtant, s’était donnée à donf. L’animateur a poursuivi en rappelant la différence entre les majorettes et ceux qui pratiquent le twirling bâton. J’avoue avoir déjà oublié son point de précision. Mais je n’ai pas oublié sa petite blagounette que personne – absolument personne – n’a comprise puisqu’aucun rire n’a retenti, ni même aucun sourire n’a pu être détecté. Il expliquait que les majorettes étaient une coutume ancestrale du pays : « La majorette, c’est l’us du cru » a-t-il dit. Puis il a ajouté : « Oh, c’est beau, on dirait du Claudel, pas Camille, hein », en référence à la jeune Camille qui venait de performer. Il a enfin conclu avec son jeu de mot : « Mais ce n’est pas du Claudel. L’us du cru, c’est de l’Anouilh ». Cette blague pathétique n’a fait rire que moi je crois. J’ai levé les yeux au ciel et j’ai marché un peu plus loin.

Je me suis arrêté au stand où il y avait plein de vinyles, et de cédés. Mais il y avait Bernard et Martine qui étaient déjà là. Martine avait la cinquantaine en âge et à peu près le double en kilos. Elle avait le sourcil épais et la toge originale. Je suis certain qu’elle était fière de montrer sa coupe de cheveux : une sorte nuages de pics plein de gel et une mèche plaquée sur le côté, le genre de trucs qu’on ne fait plus depuis 1992. Bernard, lui, arborait dignement un complet Adidas noir avec rayures violettes et la chevelure virile à la Francis Lalanne. J'avais presque l'air classe avec mes tongs et mon bermuda vert kaki. Bernard cherchait des disques à la lettre H. Vous croyez qu’il voulait acheter l’édition collector de Sang pour sang ou le dévédé de Johnny, Parc des Princes 2003 ? Ne tombons pas dans les clichés… J’ai regardé deux trois minutes ce que le vendeur me proposait, et je suis parti.

You’re my heart, you’re my soul retentissait dans l’allée principale. Je déambulais, heureux malgré tout, assumant totalement mon penchant beauf. Je me demande ce qui pousse les gens à attendre toute une journée sur des chaises pliantes cassées. Ils attendent que des badauds acceptent d’acheter un exemplaire corné du Trésor de Rackham le Rouge à 70 centimes. Peut-être imaginent-ils que les gens vont s’extasier devant leurs vieilleries là exposée. « Oh, regarde Marcel, un superbe saladier Duralex fendu, je le veux ! », « Haaan, Josiane, regarde cette magnifique jante de Citroën DS toute sale, je crois que je fais une folie, mais je l’achète », « Ouaaaah, regarde maman, y’a un vieux Qui est-ce ? auquel il manque Anita, Sam et Bill mais que j’aimerais beaucoup posséder afin de lutter contre l’ennui lors de nos longues soirées d’hiver ». Les gens sont naïfs.

Finalement, je me suis rabattu sur ce qu’il y a de plus sûr. J’ai acheté du saucisson, du pain et une tomme de chèvre. Ces foires sont décidément le rendez-vous immanquable de tous les beaufs de France, mais il faut croire qu’une partie de moi l’est aussi puisque, malgré tout, j’ai passé un moment sympathique dans cette bonne ambiance franchouillarde. Mes vêtements puent la merguez, mais tant pis.


(Ah oui, je me suis laissé séduire par Jonatan C. pour 50 centimes)

Aucun commentaire: