J’ai été convié, samedi soir, d’une façon impromptue, à un bal. Oui, à un bal. Le bal d’un village, à une demi-heure de chez moi, dans la France profonde. De toute façon, le bal se déroule rarement dans la salle de concert d’une grande ville; non, le bal se déroule généralement dans un trou paumé. Je suis un garçon de la ville, alors les bals (puisque non, on ne dit pas les baulx), je ne connais pas particulièrement. J’avais une idée préconçue du bal, qui consistait à voir les gens d’âge mûr s’amuser comme des enfants, les pommettes rouges de gros rouge, et avec la musique d’Yvette Horner alternée avec celle de Patrick Sébastien. Je suis toutefois entré de bon cœur dans la salle des fêtes du village, prêt à passer une soirée inoubliable, à découvrir les joies du bal, et à faire de belles rencontres, pour enfin pouvoir m’en enorgueillir dans une chronique.
Nous entrons (puisque je n’étais pas seul), et la fête n’était pas vraiment commencée. Quelques musiciens faisaient des gammes, au fond sur la scène, et les autres personnes étaient assises en ligne, de part et d’autre de la salle, à plus ou moins discuter. J’aperçois bien cinq ou six adolescents, mais la moyenne d’âge du reste des convives s’élève facilement à cinquante-cinq ans. Je discute, avec grand plaisir, avec les quelques personnes qui ont le privilège de me compter dans leurs connaissances, et, après un verre de cidre de bienvenue, je m’installe autour d’une table, de façon à observer les danses futures. C’est une soirée dédiée aux danses auvergnates. Comme je ne suis pas un vrai bougnat, je ne connais aucune danse folklorique régionale. Mais comme je suis quelqu’un d’ouvert à toute nouvelle expérience, j’ai décidé de me lancer à corps perdu dans la quête des pas de danses auvergnates. Evidemment, c’est plus facile à déclarer qu’à mettre en pratique.
Après un verre de cidre, les accordéons, vielles, et autres cornemuses, se sont mis à jouer ensemble. La soirée commençait enfin. Bien que maintes fois invité à venir enflammer la piste de danse, j’ai préféré prétexter vouloir observer dans un premier temps les pros, pour mémoriser les pas. Je regarde les danseurs et seuses, je prends mes repères, je m’échauffe mentalement. Je déambule au milieu de la foule qui augmente à vue d’œil. En effet la salle des fêtes ne cesse de s’emplir, ce qui fait considérablement chuter la moyenne d’âge.
Après un verre de cidre, je retourne à ma place, intrigué par un homme barbu qui jetait des cris fracassant à mi-chemin entre des yodles de savoyards et des youyous de femmes africaines. Je demande à une amie l’identité de cet homme qui avait assez peu d’orgueil pour pouvoir se ridiculiser autant et briser le silence bruyant de la musique des bougnats. Je réalise en fait que ce n’est en aucun cas une honte de faire ce cri, puisque seul lui était capable de le faire, ce qui forçait forcément le respect. Cet homme, c’était Günter. Günter est le plus typique des Günter qui puissent exister: allemand, grand, barbu, très à l’aise lorsqu’il danse sur une musique folklorique, heureux de faire la fête, quoi. Sidéré par la maîtrise impressionnante des pas de danse de Günter, j’ai voulu m’en inspirer.
Après un verre de cidre, ma diapnophobie a repris le dessus en voyant les chemises des moustachus bedonnants se gorger peu à peu de leur humidité naturelle. J’ai eu peur, puisque la honte suprême pour moi est de me retrouver transpirant au milieu des gens. Il faut dire que dans cette salle sous-climatisée, la chaleur était encombrante. Là où on aurait pu rassembler dans une bouteille de Hépar 1 Litre d’eau non potable en essorant les chemises de certains, l’essorage de ma chemise n’aurait même pas pu contribuer à former une milligoutte. J’étais très heureux, et très fier de mon déodorant. Il est donc bon de le savoir: je ne pue pas, et je ne mouille pas. Certes, je ne m’étais pas autant dépensé que certains, mais mon tour allait venir…
Après un verre de cidre, j’ai été poussé malgré moi au milieu de la scène, pour expérimenter la bourrée à deux temps, à l’image de Günter, beaucoup plus faisable que la bourrée à trois temps. C’est une espèce de danse où l’on croise son ou sa partenaire gaiement. C’est bizarre puisque, au-delà du fait que l’on répète les mêmes mouvements pendant dix minutes, le haut du corps est à dissocier complètement du bas: il faut que les jambes soient aussi toniques que celles des danseurs de Lord of the Dance, et que les bras soient ballants et le buste aussi mou que celui de Samy de Scoubidou, le dessin animé. De l’extérieur, on a un peu l’impression d’observer des asperges niaises avec des jambes ultra excitées qui bougent parce qu’elles ont peur d’êtres mangées. Je l’avoue, cette comparaison est nulle.
Après un verre de cidre, à moins que ce soit du coca, je ne sais plus, porté par l’euphorie de la soirée, et de plus en plus heureux d’être là, j’ai décidé d’apprivoiser une danse, décrite par mes amis comme «facile», ou du moins «beaucoup plus facile que la mazurka»: le cercle circassien, à ne pas confondre avec le cercle circoncis, un peu plus court. C’est une danse où tout le monde se retrouve à former un cercle, un garçon, une fille, un garçon, une fille, un garçon, une fille. On danse une valse accélérée avec sa partenaire, puis on tourne, on frappe dans les mains, ma partenaire avance, je recule, ma partenaire avance, je recule, ma partenaire avance, je recule,
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