Je savais que la dame qui recrute avait le droit de poser des questions qui déstabilisent mais je ne pensais pas qu’une question comme celle-là pouvait me déstabiliser.
J’ai tenté d’éviter tous les pièges, aujourd’hui, lors de l’entretien d’embauche. J’ai détaillé mon parcours, expliqué les incohérences flagrantes et défendu mon ambition et mon désir de travailler ici. J’ai même ri fort, un moment, si bien que ça a résonné dans ma tête. Les 45 minutes d’entretien se sont plutôt bien passées, jusqu’à cette dernière question, last but not least.
Avant de retranscrire la fin de cet entretien, il faut expliquer que mon Curriculum Vitae n’est pas vraiment classique. Outre une photo souriante, un mur de qualités, et une mise en page sobre mais efficace, j’ai tenté une audace à laquelle aucun employeur, jusqu’à aujourd’hui, n’avait prêté attention. Dans un C.V., on affiche usuellement en premier un chapitre « Expériences professionnelles » dans lequel on indique les stages suivis au cours des dernières années, ou, à défaut, les jobs d’été à couper du maïs dans un champ ou à servir du pop-corn dans un cinéma de province. Au-dessous du chapitre « Expériences professionnelles », on détaille le chapitre « Formation », dans lequel on rappelle qu’on a suivi de belles études littéraires après avoir passé un bac S. Au-dessous de « Formation », on intègre généralement un chapitre « Compétences », histoire de caser qu’on sait se servir de Word, voire de Photoshop, et aussi qu’on a un niveau d’allemand scolaire.
Puis vient le dernier chapitre d’un C.V., celui qui ne sert à rien mais qui est bien souvent indispensable pour finir sur une touche de légèreté : « Centres d’intérêt » que certains préfèrent nommer « Hobbies » parce qu’ils se croient bilingues. Plutôt que de mentionner une banale passion pour « Internet », le « cinéma », ou la « planche à voile », j’ai opté pour un « intérêt particulier pour la chanson française de 1920 à nos jours ». Je peux bien avouer que j’avais déjà envisagé une question piège à ce propos. Du coup, je peux facilement tenir une conversation portant sur Fréhel, sur Mistinguett, sur Ray Ventura, sur Edith Piaf ou sur Claude François.
Mais aujourd’hui, j’ai trouvé la dame qui recrute plutôt fourbe.
La dame qui recrute : Avant de nous quitter, j’aimerais vous poser une dernière question. Vous écrivez que vous aimez beaucoup la chanson française. Citez-moi un chanteur français actuel que vous écoutez.
Rhum Raisin : Actuel ?
La dame qui recrute : Oui, actuel.
Rhum Raisin : (Oh putain, qu’est-ce que je vais bien pouvoir lui dire ? Pas Vincent Delerm, c’est trop bobo. Pas Christophe Maé, ce serait mentir. Pas Jean-Jacques Goldman, c’est trop commun… Euh… Mais je sais pas quoi dire, haaaaaaaaaaaaaa…) Alain Souchon. (Mais pourquoi j’ai dit Alain Souchon, bordel ? J’ai même pas un seul disque d’Alain Souchon chez moi, en plus j’aime bien mais sans plus, quoi, Le baiser, Allo maman bobo, oui, mais je déteste Foule sentimentale par exemple… Bref.)
La dame qui recrute : Et citez-moi maintenant une chanteuse française actuelle que vous écoutez.
Rhum Raisin : (Rhaaa elle me lâchera jamais ! Bon, Rhum, réfléchis vite. T’as déjà dit n’importe quoi avec Souchon, il faut maintenant que tu laisses parler ta spontanéité, ne réfléchis pas.) Amel Bent. (Mais pourquoi j’ai dit Amel Bent, bordel ? Pourquoi je n’ai pas réfléchi ? Et pourquoi c’est Amel Bent qui est sortie de ma bouche comme une éjaculation précoce ? Mon cerveau est un mystère parfois.)
Je crois que mon cœur a parlé. Mes deux chanteurs préférés sont Alain Souchon et Amel Bent.
À mon grand dam.
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