Lorsque j’ai rendez-vous à une réunion, j’arrive généralement un peu en avance, le temps de trouver le lieu, puis la salle. C’est tellement désagréable de se pointer en retard: on frappe discrètement par politesse en espérant secrètement que personne n’ait entendu les trois coups, la porte de la salle grince, et tout le monde se retourne, et quand tout le monde se retourne, je suis gêné, et je rougis. Et quand je rougis, je subodore que tout le monde constate que je rougis, et je souris bêtement. Et je n’aime pas sourire bêtement, parce que je ne veux pas qu’on pense de moi que je suis bête; ce serait un leurre déplorable.
J’arrive donc un peu avant tout le monde. Lorsque j’ai trouvé l’endroit où le rendez-vous est fixé, je ne rentre pas tout de suite, bien sûr, parce que l’heure de rendez-vous est encore loin d’être atteinte, étant donné ma prise de précaution surdimensionnée pour éviter le scénario sus-raconté. J’attends alors, soit dans la voiture, soit en marchant (parce qu’attendre en restant inactif devant la porte, je n’aime pas) et en faisant croire que je me rends quelque part. Le problème, quand je marche, c’est que je ne veux pas trop m’éloigner de la salle de réunion, alors je passe plusieurs fois aux mêmes endroits, en priant que personne ne me remarque passer six fois devant le même endroit en ayant l’air toujours aussi pressé, parce que là, c’est la honte. Je n’aime pas trop être passif.
Au bout d’un moment néanmoins, je me décide à entrer dans la salle, après que les premiers auditeurs soient entrés.
L’autre fois, je me suis rendu à une réunion. Elle se déroulait dans une classe. J’entre. Même si je ne suis pas en retard, les quelques personnes déjà installées me regardent, mais là je ne rougis pas, puisque je n’ai pas à me reprocher un éventuel retard. J’apprécie à leur juste valeur les yeux rivés sur moi. Une personne a juste levé la tête; une autre est restée sept secondes à m’observer, et une troisième est restée plus d’une minute à me dévorer des yeux, battant des cils. Mes joues rosissaient. Même si c’était un thon, j’étais flatté. Je me suis assis vers le fond de la classe, mais pas tout à fait au fond. Les trois autres gens étaient assez éloignés de moi; j’étais donc seul, presque vers le fond, à droite. Un garçon est entré, a jeté un regard furtif dans toute la classe, et a foncé sur la chaise exactement à ma gauche…
[Mais qu’est-ce tu viens foutre à côté de moi, petit connard? Y a de la place partout dans la classe, et toi tu viens te poser juste à côté de moi. Et en plus tu me colles, espèce de sangsue. Je sais bien que tu as été attiré, malgré toi, par ma personne, mais quand même, certaines pulsions doivent être refoulées, merde. Oh et puis tu pues! T’as ingurgité du maroilles ou t’as bouffé un putois mort? Mais qu’est-ce que j’ai fait pour être ennuyé comme ça? Je vais assister à une réunion, je veux être tranquille, écouter seul, dans mon coin, et toi, il faut que tu viennes te foutre juste à côté de moi, alors qu’il y a de la place partout à côté. Non mais c’est vrai, quoi, on est cinq paumés dans cette salle de 30 m2, il y a une cinquantaine de places, et toi tu viens à côté de moi. Mais pourquoi? Pour me faire chier, oui. Mais dégage, à la fin, je veux être tranquille, et pas devoir supporter ta gueule. En plus, t’es moche et j’aime pas tes vêtements.]
Le jeune homme a soudain pris son manteau et est parti s’asseoir, sans raison aucune, de l’autre côté, à gauche, là où il a finalement remarqué qu’il n’y avait personne.
[Eh! Mais pourquoi tu te casses? Mais je te fais fuir ou quoi? Dis tout de suite que je sens pas bon. Mais en fait, je veux bien que tu restes, je me sens seul là. Mais, reviens! J’ai l’air de quoi, là, moi, tout seul de mon côté droit. Les autres vont avoir l’impression que j’ai une maladie contagieuse si personne ne vient s’asseoir à côté de moi. Allez, steuplaît, reviens sur la chaise. Je supporterai ton odeur et ta tête. Vieeeeeeens! Bouh! Je pleure tout seul. Même sur mes genoux tu peux venir. Je veux pas être tout seul. Qu’est-ce que je t’ai fait pour que tu partes d’un coup comme ça? On s’est même pas parlé, et je t’ai à peine regardé. Mais c’est la honte pour moi? J’ai l’impression de me faire abandonner, presque larguer, là. Alleeeeeez! Revieeeeeens!]
La réunion a dû être passionnante.
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