Lorsque j’y vais, c’est à reculons. C’est pourquoi j’essaie d’y aller le moins souvent possible. Mais il y a des périodes où ma tête ne ressemble plus à rien. Je parle bien sûr du dessus de ma tête, mon visage gardant, lui, toujours toute sa fraîcheur et sa splendeur. A force de repousser les échéances, je me retrouve parfois dans l’obligation de m’y rendre, alors j’y vais.
La coiffeuse, puisque c’est bien chez elle que je vais, malgré mon appréhension légitime – et toujours justifiée – de ressortir pire qu’à mon arrivée (heureusement que je sais comment faire pour arranger mes cheveux après), m’installe, me demande ce que je désire qu’elle fasse, et me propose de «passer au shampooing» – expression qui perd tout son sens hors contexte, puisque ceci signifierait que je me lave les cheveux au jaune d’œuf, et qu’elle me conseillerait de «passer au shampooing», ce qui est idiot puisque si on le prend comme ça, j’en suis déjà au shampooing (ce qui ne veut pas dire que je n’utilise jamais de jaune d’œuf, connu pour sa vertu de fortifier le cheveu (ce dernier aparté ne voulant pas non plus dire forcément que j’ai réellement déjà utilisé du jaune d’œuf pour me laver les cheveux)) – en me désignant d’un geste du bras le premier lavabo, ce que j’accepte, puisque ce serait idiot de refuser un shampooing par des mains expertes compris dans le prix, et de risquer, par la même occasion, de la vexer, alors qu’elle paraît si heureuse d’offrir son savoir-faire à un client semblant si sympathique, malgré sa tendance à écrire des phrases longues – pourtant bien construites – qui se terminent le plus souvent, fort peu originalement, par le signe de ponctuation ci-après.
Or aujourd’hui, lorsqu’elle était en train de s’occuper de mon côté gauche, le compteur à disjoncté, sans doute à cause du chauffage trop fort, contraignant les clients, donc moi notamment, vous l’aurez compris, à n’entendre qu’un Entre nous, c’est la vie qui s’enfuit qui s’en fout, c’est la vie qui nous prend dans son tronqué à cet endroit précis, diffusé par Chérie Fm. C’est rageant de ne pas entendre la fin d’un refrain, lorsque, comme moi, on chante dans sa tête, parce que c’est bien la seule chose à faire quand on est en train de se faire tripoter la tempe. Deux des trois coiffeuses étaient affolées, certes moins que les deux dames qui se faisaient faire des mèches et qui avaient soudain l’air moins inspiré qu’en pleine lumière et dans le brouhaha des Vous savez pas ce qui est arrivé à Madame F.? (ben non, et on s’en fout) Et bien elle est cocue!, avec leur aluminium sur la tête. Ma coiffeuse à moi continuait nonchalamment à s’appliquer à égaliser les cheveux des deux côtés de ma tête. Là où s’est ressenti le potentiel comique de la situation, c’est lorsque les deux coiffeuses ont cherché, réalisant que c’était uniquement chez elles que ça avait sauté, et non dans tout le quartier, où pouvait bien être le compteur. Il n’était pas derrière, ni devant, ni dans l’arrière-boutique, bref nulle part. Les deux débrouillardes ont appelés leurs amis pour leur demander s’ils se rappelaient où se trouvait le disjoncteur de malheur dont la panne inopinée obligeait ma coiffeuse à tourner ma chaise du côté de la fenêtre, et donc de la lumière du jour, parce qu’il faut avouer qu’on n’y voyait vraiment pas grand-chose, ce qui me privait de la belle image que reflétait auparavant le miroir en face de moi. Au bout de dix bonnes minutes d’obscurité partielle et de silence musical complet, l’une des coiffeuses soupçonna la présence du compteur à la cave de l’immeuble. Or elle n’avait pas la clé de la porte de la cave; il fallait utiliser un vieux tournevis pas pratique. Après un furtif regard tout autour d’elle, elle stoppa les yeux sur moi, personne la plus virile du salon de coiffure, et me lança un gentil Ça vous dérangerait pas de m’aider à ouvrir la porte de la cave? C’est le genre de moment où malgré l’envie puissante de dire Est-ce que j’ai une tête de bricoleur? , on répond trop vite un Non, bien sûr avec un sourire crispé. Heureusement, elle a ajouté Enfin, je vais essayer toute seule d’abord.
Au bout de deux minutes, le courant est revenu, sans que la coiffeuse ait eu recours à mon aide précieuse, la lumière a rebrillé, la radio a rechanté, la patronne est remontée, et moi je suis reparti, ayant bien remarqué l’absence de geste commercial à la défaveur de mon porte-monnaie.
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