5 oct. 2006

Un être amer

Il est nécessaire d'avoir un peu d'orgueil quand veut être digne. Ce que je veux dire, c'est que lorsque l'on vient de subir un échec cuisant, mieux vaut attendre longtemps avant de retenter cette chose que l'on a ratée. Sinon c'est la honte. C'est une sorte d'humiliation. Imaginons une jeune demoiselle qui vient de se prendre un énorme rateau auprès d'un jeune damoiseau. Cette jeune demoiselle, dont la fierté s'est naturellement effondrée au moment où a retenti un Ecoute, je veux pas te faire de peine, mais je suis pas fait pour toi, ne doit en aucun cas se décourager; néanmoins elle doit attendre patiemment le moment le plus opportun pour faire sa nouvelle demande, histoire de ne pas montrer qu'elle est tellement accro au mec qu'elle ne songe nuit et jour qu'à lui.
Imaginons à présent la désillusion suprême à laquelle est confrontée la personne qui voit la place de président de la République lui passer sous le nez au deuxième tour d'une élection présidentielle. Il m'arrive de temps en temps de penser au destin hors du commun de Valéry Giscard d'Estaing. Ce vieil homme, qui était beaucoup moins vieux à l'époque, est devenu l'homme le plus influent de France en 1974. Alors, bien sûr, sous son règne, on a vu la fin des Trentes Glorieuses et le scandale des diamants de Bokassa, mais était-ce une raison valable pour infliger à Valéry une humiliation perpétuelle depuis tant d'années? Valéry paraît gentil avec son accent rural et son petit accordéon, comme Gilou. Et pourtant, la sentence de 1981 est sans appel: les français lui préfèrent François Mitterrand. Valéry est dépité: il pleure dans les bras de sa douce, Anne-Aymone, rumine tous les soirs, son nin-nin dans les mains, demande à tous les dieux pourquoi il se sent mal-aimé. Il se trouvait proche du peuple, et allait même dîner chez les gens, qui l'accueillaient volontiers chez eux, pour manger une tranche de pâté. Mais Valéry a son prestige, et son honneur: il sait qu'en tant qu'ancien président de la République, il a droit à un garde du corps, un secrétariat à Paris, une voiture de fonction, une prime, en euros, fort honorable, le privilège de se faire appeler Monsieur le Président, le tout, à vie. Profitant de ceci depuis vingt-cinq ans, il attend alors patiemment le moment où son come-back sera le mieux accueilli.
Européen dans l'âme, en souvenir des soirées de beuverie avec Willy Brant, Valéry a rédigé la Constitution pour l'Europe. Selon lui, la critique allait saluer ce travail d'écriture, les français allaient l'acclamer, la Constitution allait être votée, il allait devenir le re-nouveau président de la République française, puis le président de l'Union Européenne, Union Européenne qui allait devenir première puissance mondiale, et donc Valéry allait être le président du monde, avant George W. Bush. Mais le sort semble s'être acharné contre lui: en deux temps trois mouvements, la Constitution fut balayée, et Valéry désillusionné. Pour couronner le tout, son site Vulcania est, jours après jours, de plus en plus menacé de faillite. Heureusement, pour sa compensation, et sa fierté personnelle, Valéry est devenu un Immortel.
Mais l'amertume coincée au plus profond de son coeur a besoin de sortir. Le magma en fusion éclate parfois comme de la dynamite, même si la dynamite a un arrière-goût de pétard mouillé. Valéry vient de sortir le troisième tome de ses Mémoires, à l'intérieur desquels il égratigne ceux qui l'ont bien avant lui égratigné. Bien que son style soit travaillé, ses mots mûrement réfléchis et choisis, la haine envers notre actuel président de la République est palpable. L'anecdote qui sert de publicité pour son livre est la suivante: entre les deux tours de 1981, Valéry a appelé le secrétariat de Jacques Chirac, et, en modifiant sa voix, a demandé conseil sur l'homme à élire... Et là, trahison: Jacques appelle à voter PS, contre la droite, et contre Valéry. Giscard en veut à mort à Chirac, et l'attaque textuellement (oui, parce que physiquement, Giscard attaquant Chirac, mieux vaut ne pas imaginer). Entre nous, il faut être fort pour ne pas reconnaître Valéry au téléphone: Oui, bonchoir, pour qui me concheillez-vous de voter au checond tour? Est-ce la vérité? La politique est un monde où le mensonge fait partie de la vie de tous les jours. Il faut avoir les nerfs solides. Il existe des mystères qui resteront des mystères.

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